Par Timeri HOPUU (SCP)
1 – HISTORIQUE DU FE’I
Dans la société polynésienne d’antan, les vallées à fe’i fleurissaient en masse dans les basses et hautes montagnes. Elles représentaient un certain prestige et une force de la nature.
Elles avaient pour fonction à la fois de garde-manger pour la communauté et servaient également de limite de terre.
Origine du Fe’i
Nous avons peu de connaissance sur les origines de la banane fe’i.
Les très nombreuses variétés de bananiers que l’on rencontre dans les îles polynésiennes se ramènent à quatre espèces ; deux sont indigènes, originaires du Sud-Est Asiatique et la région du Pacifique, « fe ‘i et mei’a ne sont pas des espèces indigènes mais emmenées par les polynésiens au cours de leurs migrations. Et deux furent introduites par les blancs.
Bien qu’originaire des montagnes et des fonds de vallées le fe’i pousse aussi sur les terres basses et hautes.
Les feuilles sont d’un beau vert brillant, les tiges sont très cassantes et sa sève donne une teinture violet foncé. Le tronc des fe’i est vert et noir. La partie brune et noire de ces deux espèces est arrachée pour servir de patron à des nattes, chapeaux, éventails, etc…
Les fruits du Musa sont semblables à des concombres bien que plus pointus vers les extrémités, ceux du plantain sont plus gros et ronds aux extrémités.
Sur les régimes de fe’i les fruits ont leur extrémité dirigée vers le haut. On trouve jusqu’à deux cents fruits sur un régime.
TE MEIA
Une des bases de la nourriture indigène est constituée par les fruits succulents des diverses espèces de bananes (Musa) appelées en tahitien Mei’a et fe’i ;
Le fe’i : plantain de montagne, Musa troglodytarum (Linné) ou Musa fehi (Bertero).
2 – LEGENDES DU FE’I
1) La légende du Fe’i par Teuira HENRY (Tahiti aux temps anciens - page 44).
« D’après la légende, les mei’a des terres basses tenaient leurs fruits en l’air comme les fe’i des montagnes, mais à la suite d’une guerre entre les deux espèces, les mei’a furent battus par leurs cousins plus vigoureux. Depuis ils gardent la tête baissée en signe de mortification. »
Cette légende est aussi connue aux îles Samoa.
2) Légende de Vei et Vero (fe’i cité). Orsmond H. WALKER, raconté par le vieux Haurai de Teahuupoo. BSEO du 18 avril 1927.
C’est une vieille légende de Teahuupoo qui a traversé les âges jusqu’à nos jours. C’est l’histoire de deux jeunes gens Vei et Vero qui s’aiment éperdument mais leur amour ne peut être exposé à la face du monde puisque selon les lois anciennes, les enfants de la classe supérieure (chefs) ne pouvaient s’allier avec ceux ou celles de la classe inférieure (manahune). Vei et Vero devront franchir des obstacles pour se retrouver. Pour se faire, Vei va devoir affronter les monstres de la grotte (Te ana poiri) pour conquérir sa douce Vero. Cette grotte est située en flanc de montagne en face de la passe VAIAU du « fenua aihere ». De temps immémorial aucun être humain n’a pu s’approcher de cette grotte car des rumeurs couraient que quelques imprudents avaient été attirés à l’intérieur et n’en étaient jamais ressortis . Leurs crânes avaient été retrouvés sans cheveux dans la source qui bouillonne à marée basse.
Pendant le périple de Vei, Verohitiiteraianuanua (Vero) écouta quelques vieux récits dont les principaux personnages étaient de ses ancêtres ; puis, étant « fiu » d’histoires, elle demanda qu’on lui dise son avenir.
Un vieillard lut dans ses beaux yeux noirs si doux, qu’avant d’atteindre le bonheur, elle était prédestinée à vivre pour quelque temps dans une profonde obscurité.
Une vieille regarda ses dents et lui dit qu’elle les avait si blanches, qu’elle aura beau se nourrir de fe’i pendant tout le temps qu’elle sera dans l’obscurité, que leur blancheur n’en perdrait pas son éclat.
Un autre vieux lui dit qu’elle avait un corps si beau et une voix si douce, qu’un « aito » ou guerrier surgirait bientôt et l’emmènerait pour lui donner le bonheur qu’elle désirait.
Enfin, une dernière vieille lui dit : « l’homme qui te convoite te possèdera bientôt, car tes membres tremblent comme les ailes de l’oiseau qu’emporte le dénicheur et tes narines se dilatent comme celles d’un enfant qui attend sa mère.
Tu es l’oiseau qui sera déniché et cependant tu es comme l’enfant qui attend sa mère. »
3) Parau paari no Afaahiti : Pouira à TEAUNA. Tearapo. Parau tumu no Tahiti iti n°3 p 9.
… Tei Afaahiti te i’a ma’a
I tu ti’a te anuanua
Opu pa’ia i te tai epo
O motunono i te fee onohi noa
Ai’ura i te fe’i fa’aariari….
4) Les mémoires de MARAU TAAROA, P 184 (le « horue », la compétition de surf à Teahuupoo)
« Venez filles et garçons, allez dans la mer, mais prenez garde de ne pas ternir les fe’i, les bananes dorées de votre vallée.
Ceci voulait dire de ne pas permettre à ceux des autres districts de gagner la course sur Teahuupoo, leur district ».
5) Te parau Paari no roto mai ia Turaa- Dorothé TETAUIRA, agriculteur de TAPUTAPUATEA transmis à son fils Nestor TETAUIRA.
« Te fe’i e ari’i ona no te mau mei’a atoa. Te tumu no te rahi tona mau ohi e te tumu mau no te rahi atoa te mau ma’a. E ia hi’o anae oe tona tari mea tupu oeoe noa i ni’a. Ia hi’o anae oe te tari mei’a mea tarere ona. O te fe’i noa ia mea taae. Te vai atoa ra te ho’e faufa’a rahi i roto i te fe’i, e rapaau ona te mau huru ma’i ato’a. »
3 – LES VARIETES DE FE’I
Selon Teuira HENRY (Tahiti aux temps anciens p. 43), il existe 18 variétés de plantain de montagne ou fe’i : A’ai’a
A’ata
Aiori
Aoha
Arutu
Fara-maire
Fara-onohi
Fara opu roa
Fe’i haa (fe’i nain)
Fe’i ore’a (fruit pointu comme celui du plantain original)
Paru
Piatoto
Poutia (fruit gros et rond)
Puputa (petit fruit pointu)
Rureva
Rutu
Tati’a
U’ururu
Selon Mac DANIELS , En 1947 il répertorie
13 variétés de fe’i Aiori
Arutu ou a’ai’a
Rureva
Aata
Ha’a
Paru
Mahani
Toroaiai ou Arapoi
Oeoe
U’ururu
Poti’a
Afara
Tati’a
Le grand nombre de variétés témoigne de l’ancienneté de l’introduction du fe’i à Tahiti.
Aujourd’hui, bon nombres d’agriculteurs connaissent 7 ou 8 variétés de fe’i dont le Aiori reste la plus consommée et la plus cultivée.
Aiori
Afara
Rureva
Ta’u
U’ururu
Ore’a
Piatoto
Tati’a
4 – ART CULINAIRE
Paul PETARD (Plantes utiles de Tahiti)
« Dans toutes îles de la Polynésie, les bananes sont consommées en grandes quantités. Les régimes sont cueillis verts, et suspendus sous un abri (fare ahima’a) à proximité de la maison (abri de jardin, garage).
Les fe’i et les meia indigènes sont rôtis dans le « ahima’a », mangés avec le porc ou le poisson. Les polynésiens apprécient beaucoup le fe’i très mûr (fei pe) dont le goût est à la fois sucré et acidulé.
En écrasant les fruits cuits du fe’i et en délayant cette pulpe avec un peu de lait de coco, on obtient le popoi fei, aliment des bébés, d’une belle couleur jaune d’or, exerçant un effet laxatif.
Pour préparer le « poe » ou pudding tahitien, on broie les bananes ou les fei, on leur ajoute un peu de fécule de manioc ou de « pia », le mélange obtenu est enveloppé dans des feuilles de « ti » ou de bananier, les paquets sont liés avec des lanières d’écorces de « purau » et on les fait cuire dans le ahimaa. Le « poe » est coupé en morceaux et servi avec du lait de coco. »
1) Popoi mei’a et fe’i, un met traditionnel tahitienne de Papeari
La « popoi banane » est l’assemblage de pâte de banane mûre et de fe’i pi (banane verte des plantains, une autre variété de banane) cuite à l’étouffée dans le ahi ma’a.
Ce met est à l’honneur de grandes manifestations, nouvel an, mariage, départ, arrivée, naissance et décès. l’histoire de la popoi banane, qui à l’origine était un met unificateur du clan des Teva, clan de la Côte Ouest et la presqu’île de TAHITI renommé pour sa force et la solidarité dans le travail rappelant ainsi toutes les valeurs et les lois ancestrales basées sur le travail, la famille et la communauté. Toutes ces valeurs semblent-elles sont transférées dans la confection de cette popoi, imprégnées bien évidemment d’un savoir, savoir faire et savoir être.
Selon les personnes qui détiennent encore aujourd’hui ce savoir faire, la popoi banane est un met culinaire destiné depuis des générations à la cohésion familiale, sociale et culturelle.
Il a pour fonction première de maintenir les principes et valeurs fondamentaux relatif à la famille, au travail et à la communauté.
Il était de plus, destiné à maintenir l’alliance entre les familles des îles de la société et les îles avoisinantes du triangle polynésien, les îles Hawaii, Samoa, Tonga et la Nouvelle Zélande.
Lorsque les hommes partaient pour une longue période en mer quelque soit la nature de leur déplacement dans ces îles, ils embarquaient de la nourriture qui se conservait, entre autre la « popoi banane » faisant parti, pouvait se conserver pendant plusieurs semaines.
La spécificité et la technique de cette « popoi banane » se trouvent dans diverses étapes de sa préparation.
De plus nous tenterons d’apporter quelques éclairages basés sur la connaissance des personnes détentrices de ce savoir et des références bibliographiques.
Cela dit, ce met semble générer des attributs dans la représentation symbolique de la conception et la préparation.
PREPARATION de la « Popoi banane »
La préparation de la popoi est une affaire d’hommes ; les hommes vont dans la vallée couper des régimes de bananes et de fe’i pi après avoir préparé deux fosses rectangulaires, une fosse destiné au dépôt des régimes de bananes pour la maturation et l’autre pour le ahi ma’a.
La première étape : Processus de maturation
Elle consiste à regrouper les bananes et les fe’i, disposés dans la fosse et couverts pendant une durée maximale de sept jours.
Sur le plan symbolique :
Ici, les bananes et fe’i cheminent ensemble dans le po (l’ombre ou la nuit) pour arriver à maturation.
Dans le symbolisme de la maturation en Polynésie, on note toutefois le rite de passage du monde végétal, traduisant fortement la marque de respect et d’allégeance à la terre nourricière, ce qui renvoie à la notion d’écoute et d’humilité.
Les références citées par Teuira Henry sur les bananes dans son ouvrage Tahiti aux temps anciens permettent d’émettre une hypothèse de travail sur la popoi.
D’après la légende, « les mei’a des terres basses tenaient leurs fruits en l’air comme les fe’i des montagnes, mais à la suite d’une guerre entre les deux espèces, les mei’a furent battus par leurs cousins plus vigoureux. Depuis ils gardent la tête baissée en signe de mortification ».
La lecture de cette légende évoque la notion de rivalité et de pouvoir. Nous pouvons constater que les guerres existent aussi dans le monde végétal.
La deuxième étape : Processus de purification
Elle consiste à retirer les bananes et fe’i de la fosse, en les rangeant dans les petits paniers de palmes de cocotiers confectionnés à cet effet et disposés dans le ahi ma’a.
Dans le symbolisme de purification, le passage dans le ahi ma’a se traduit en amont par le fruit d’un travail de réflexion dans le po (l’ombre), d’où le processus de maturation, rappelant ainsi les valeurs profondes liées à la nature humaine et végétale. Cet acte nous démontre la pureté des valeurs acquises lors de ce passage. Cet acte initiatique permet l’entrée dans le feu, (le four ahi ma’a) sans hésitation. Cette action renvoie au concept d’unité et de force dans le travail.
La troisième étape : Processus d’unification
Elle consiste après la cuisson à retirer les petits paniers de bananes du ahi ma’a. Les hommes se mettent à deux pour mélanger et battre les bananes dans un « umete », (récipient creux en bois en forme de pirogue) à l’aide d’un « penu »(pilon en pierre) et au rythme de battement du cœur.
Dans le symbolisme de l’unification, le monde végétal s ‘allie au monde de l’humain. Cette alliance évoque l’unité de ces deux entités qui oeuvrent du début à la fin pour offrir le fruit de leur travail à la multitude.
La quatrième étape : Processus de partage
Consiste à mettre la pâte dans les feuilles de bananier et à la partager ensuite entre les membres de la communauté.
Dans le symbolisme du partage, émerge la notion d’unité, de lien affectif familial et social.
Tout le traitement culinaire consiste à faire passer la nourriture d’un état obscur (Po) à un état lumineux (Ao). La nourriture est apportée vers les lieux de lumière, au centre et présentée toujours de façon cérémonielle.
Tout repas polynésien est une offrande. Le terme trans-polynésien pour la cuisson au four signifie aussi recouvrir « ha’apoi ».
Le projet au départ, continuité dans la façon de faire et dans la pensée. Lien constant avec la famille, les ancêtres et la communauté. Les enseignements sont donnés lors de la conception et l’élaboration de la popoi en plus des enseignements pendant la préparation autour du ahima’a.
2 – POPOI FE’I de Tutana TETUANUI.
Fiche technique de la « Koehi huetu »
Recette marquisienne de Fatuiva (Tutana TETUANUI).
La recette culinaire appelée « popoi huetu » est un met préparé à partir de plantains mûrs bouillis, pilés et la pâte obtenu est trempée dans du lait de coco.
Ce met est destiné particulièrement aux nourrissons au moment du sevrage.
Ce met peut être accompagné de poisson cru, de poisson salé, séché. Ces saveurs salées sucrées des fins gourmets.
Les outils : 1 couteau
1 pilon
1 umete
1 marmite
1 plat en bois
1 réchaud
1 pieu (pour le débourrage du coco)
1 râpe à coco
1 tissu pour filtrer le coco
Les ingrédients : Plantains mûrs (fe’i) de préférence le « aiori »
Eau
Coco sec
La préparation du coco : Débourrer
Casser la noix
Fondre
Râper
Presser la pulpe
Filtrer le lait dans un plat
Remplir un récipient d’eau puis poser près du « umete »
La préparation des plantains : Faire bouillir les plantains dans la marmite
Piquer les plantains à l’aide d’un couteau afin de vérifier la cuisson
Poser le récipient d’eau près du « umete »
Tremper les mains dans l’eau afin d’éplucher les plantains chauds
Piler les plantains chauds
Plonger aussitôt la pâte dans le lait de coco qui prendra un aspect crèmeux.
5 – ART ARTISANAL
Le Musa fe’i est un véritable arsenal de matière artisanal. L’écorce séchée du tronc de fe’i est utilisée dans la confection des nattes, des chapeaux, paniers, éventails, couronnes de cou et de tête.
Confection de Panier avec fibres de « paeore » et de « fe’i » et forme géométrique
Rimatara : De Marcelle TEHAEURA épouse TEPAVA
Différentes tresses
1- Panier : Tresse Taiamana, frise d’’étoiles
2- E’a : Tresse escalier
3- Taiamana Ta’ata’ahiraa
4- Tai’amana ofe
6- Le savais-tu
Te hotura’a o te fe’i / Les différentes phases de croissance du fe’i.
1 - Haere anae tona ma’a, te pua maira te fe’i, te ote’o maira.
2 – Te menemene ra te fe’i. Mea api roa ia ona
3 – Ia tunu pa’a anae hia te fe’i, e purohi noa ia te ma’a, noaatu e tunu pape hia aore ra e e’u hia ona i roto i te ahi ma’a.
4 – Mea utu mohi, te ra vahi i mua roa o te fe’i, te utu o te fe’i aitia ia e omoto atura
5 – Ia mare’are’a te fe’i, e parau hia ra e omoto tae’a.
6 – Ia ha’amata ana’e ona te para ua tae’a ia.
7 - Ia para anae ua para ia te fe’i.
Pour savoir si le fe’i est arrivé à maturation VERT ou orangé, le fruit doit être mûr et crevassé. De plus à la cuisson du fe’i, la chair est très consistante et fibreuse. (Eugénie MAITERAI)
BIBLIOGRAPHIE : ASIAN PERSPECTIVES, the journal of Archeology for Asia and the pacific vol 47 number 1. Spring 2008. Pacific Banana
TAKAU POMARE, Les mémoires DE Marau Taaroa, Soc. des Océanistes, N°27. Musée de l’homme, Paris 1971.
Teuira HENRY, Tahiti aux temps anciens, Soc. des Océanistes N°1. Musée de l’homme, Paris 2004.
Paul-Henry PETARD, plantes utiles de Polynésie, haere po p117
Orsmond H. WALKER, la légende de Vei racontée à l’auteur par le vieux Haurai de Teahuupoo. BSEO 18 avril 1927.
Parau tumu no Tahiti iti, te arapo
F.GREPIN &M.GREPIN, la médecine tahitienne traditionnelle, raau Tahiti, ed. du Pacifique.